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APPROCHE PRAGMATISTE COGNITIVE

A vouloir comprendre la crise prétendue de la littérature, Jean-Marie Schaeffer nous invite à remettre en cause le modèle même, à partir duquel cette crise semble réellement s’affirmer. Il souligne dans Petite écologie des études littéraires. Pourquoi et comment étudier la littérature ? (2011) que les déplorations actuelles portant sur la « déréliction culturelle » qui affecte notre société contemporaine oublient souvent de prendre en considération le fait qu’« en chiffres absolus, il ne s’est sans doute jamais lu autant d’œuvres littéraires que de nos jours ». C’est la place relative que la littérature occuppe dans la culture qui a effectivement changé du fait de l’apparition d’autres supports plus accessible, plus mobiles qui viennent concurrencer les fonctions sociales antérieurement assurées par le livre et la littérature. Cette fonction est relative au récit, à la fiction. La crise concerne donc beaucoup plus « la représentation savante de la Littérature », soit les études littéraires qui continuent à opérer selon les anciennes méthodes héritées du 19e siècle au lieu d’« admettre [...] que ce qui s’appelle « littérature », chez nous et aujourd’hui, constitue, sous d’autres figures, une réalité importante de la vie de tous les hommes, de toutes les sociétés humaines ». L’ère de l’autonomie et de l’autosuffisance autarcique de la littérature révolue, il faudrait plutôt, selon Schaeffer, aspirer à une « meilleure compréhension des faits littéraires », compréhension « écologique », car c’est à travers la littérature – le récit, la fiction – que l’homme parvient à une une connaissance de ce qu’il est et peut être.

Le récit est un fait anthorpologique, une catégorie fondamentale de la vie culturelle et de l’humanité auquel on attache une valeur adaptative. Il permet de faire des hypothèses sur la façon dont la connaissance humaine s’organise. Schaeffer fait appel à Introduction à l’analyse structurale du récit, où Barthes confirme l’importance du récit à pouvoir assurer l’identité collective des communautés humaines et à permettre aux individus de créer une identité subjective (voir Leçon 4). Nous avons affaire à une compétence fictionnelle qui joue un rôle considérable et irrévocable dans le processus de connaissance, autrement dit dans notre rapport au réel. C’est dire que la fiction ne joue plus sur l’opposition du vrai et du faux (piège que toute approche autre que pragmatique a du mal à éviter en fonction des genres référentiels comme l’autobiographie et l’autofiction). Dans Pourquoi la fiction ? (1999) Schaeffer considère la fiction comme une compétence universelle dont l’usage présuppose la maîtrise et la combinaison de trois relations mimétiques :

  • l’immersion mimétique (la capacité de compter quelque chose comme « autre chose ») ;
  • la faintise ludique (mécanisme permettant de distinguer la situation d’immersion fictionnelle de celle de l’immersion réelle) ;
  • la modélisation analogique (capacité d’identifier des isomorphismes de 2e degré).

Or, il n’existe pas une double structure de représentation, l’une pour la fiction, l’autre pour la référence. C’est que la nature fictionnelle ne se dénonce pas par son contenu spécifique, mais qu’elle fait appel à des marqueurs génériques favorisant un comportement cognitif adéquat de la part du lecteur ou du spectateur. Ainsi, il n’est plus possible de se borner à l’étude de la littérature « intentionnelle » dont la littérarité est entièrement « constitutive », car les œuvres appartenant sous le régime de littérarité « conditionnelle » n’obéissent à aucune intention esthétique reconnaissable. Les études littéraires doivent par conséquent pouvoir tenir compte de ce tournant pragmatique en étudiant cette littérature « attentionnelle », celle qui est lue, vue, vécue en tant que telle pour dégager « les potentialités esthétiques des pratiques discursifs ». Le modèle cognitif implique donc une « petite écologie de la littérature ».