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MÉLANCOLIE ET RÉVOLTE

A part la matière littéraire qu’offre Nerval, Duras, Dostoïevski, dans Soleil noir. Dépression et mélancolie (1987) Kristeva fait également appel à l’expérence de l’analyste pour élaborer la structure mélancolico-dépressive. Le mélancolique est celui qui est hanté par la Chose qu’il a perdue : cet Autre de lui-même à la fois propre et impropre, haï et désiré. La Chose est « un soleil rêvé, clair et noir à la fois » – pour reprendre l’image de Nerval. L’identification primaire avec « le père de la préhistoire individuelle » (ce père n’a rien à voir avec le père œdipien, père de la loi) est la clé de toute identification ultérieure. Si cette identification échoue, rien n’assure les autres identifications symboliques à partir desquelles « la Chose érotique serait susceptible de devenir un Objet de désir captivant et assurant la continuité d’une métonymie du plaisir. » (p. 23) On comprend pourquoi le mélancolique est étranger au monde, et aussi au monde du langage (déni du symbolique). C’est encore l’art qui, grâce à des mélodies, rythmes, polyvalences sémantiques décomposant et refaisant les signes, devient « le seul « contenant » à pouvoir assurer une emprise incertaine mais adéquate sur la Chose (p. 24).

Toujours sensible à la révolte (mai ’68, Tel Quel, marxisme, maoïsme), Julia Kristeva envisage dans Sens et non-sens de la révolte (1996) les possibilités d’une « culture-révolte », « la culture comme révolte » dans notre société contemporaine que la « culture-show » ne cesse d’envahir. Cette interrogation se fait dans le sillage de la pensée freudienne de la révolte avec au centre Œdipe, l’emblème de la révolte sur un plan individuel et phylogénétique à la fois.

A étudier la révolte sous ses trois formes

  • comme « transgression de l’interdit »,
  • comme « répétition, perlaboration, élaboration »,
  • comme « déplacement, combinatoire, jeu ».

Kristeva arrive au constat quelque peu pessimiste : si révolte peut encore avoir lieu, ce n’est que dans l’expérience analytique et dans l’expérience littéraire, l’une comme l’autre est à même de révéler ce « futur antérieur » dont parle Mallarmé, ce virtuel, ce grain de révolte propice à opérer le dépassement du « texte » sémiotique. Sens et non-sens de la révolte semble donc s’inscrire dans la lignée droite de l’expérience proustienne de l’art (prêchant la religion de l’art), que Kristeva exploite dans Le Temps sensible, Proust et l'expérience littéraire (1994).