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PRÉMISSES GÉOCRITIQUES

Si la géocritique comme « science des espaces littéraires » s’avère novatrice dès son apparition aux années 1990, c’est qu’elle réinvente l’articulation possible entre la littérature, l’espace (le monde) et la science, selon un paradigme postmoderne dont les prémisses sont relatives à la « spatio-temporalité », à la « transgressivité » et à la « référentialité ». En effet la destructuration de la ligne chronologique (grâce à la polyphonie, au dialogisme) conduit à une spatialisation de la temporalité. Par la transgressivité, il s’agit de nommer « la seule constante » catactéristique de notre perception de l’espace vouée au jeu de déterritorialisation et de réterritorialisation. Car ce « tenir-ensemble d’éléments hétérogènes » qu’est l’espace pour Deleuze et Guattari fonctionne selon le modèle inscrit dans les concepts d’« espace lisse » et d’ « espace stié ». Ce dernier fait appel à l’espace sédentaire, à l’état, aux points, alors que l’autre à l’espace nomade et à ses lignes. Pour ce qui est de la référentialité, la géocritique – à l’opposé du stucturalisme qui considère que « l’espace représenté en littérature est coupé de ce qui lui est extérieur » – réaffirme le rapport, voire l’interaction entre le monde fictionnel et le réel de l’expérience. Selon la théorie des interfaces il existe trois relations possibles entre le réel et le fictionnel : homotopie (supposant une compossibilité entre l’espace référentiel et sa représentation fictionnelle), l’hétérotopie (le lien entre les deux instances sont brouillé dans un rapport de contradiction, d’impossiblité), l’utopie (l’espace sans référent d’incompossibilité).

Aussi Westphal exploite-t-il les « quatre points cardinaux de l’approche géocritique » : la multifocalisation (points de vue endogène, exogène, allogène), la polysensorialité (critique de la suprématie de la visualité, favorisation d’autres formes de perception sensorielle), la stratigraphie (caractère feuilleté du temps réactivable à tout moment : polychronie), l’intertextualité (la perception de l’espace est d’orès et déjà médiatisée par d’autres textes). Quant à la relation entre les espaces humains et la littérature (l’espace littéraire), il n’oublie pas de souligner que la géocritique suit un postulat selon lequel :

« les espaces humaines ne deviennent pas imaginaires en intégrant la littérature, c’est la littérature qui leur octroie une dimension imaginaire en les introduisant dans un réseau intertextuel. La géocritique, en effet, se propose d’étudier non pas seulement une relation unilatérale (espace-littérature), mais une véritable dialectique (espace-littérature-espace) qui implique que l’espace se transfome à son tour en fonction du texte qui, antérieurement l’avait assimilé. Les relations entre littérature et espaces humains ne sont donc pas figées, mais parfaitement dynamiques. L’espace transposé en littérature influe sur la représentation de l’espace dit réel (référentiel), sur cet espace-souche dont il activera certaines virtualités ignorées jusque-là, ou réoriente la lecture. »

Bertrand Westphal, « Pour une approche géocritique des textes », 2000, 21

Regardez la conférence de Michel Collot Tendances actuelles de la géographie littéraire sur