Ignorer la navigation

INTERTEXTUALITÉ

C’est à la suite des anagrammes saussuriennes, du dialogisme et de la polyphonie bakhtiniens que Kristeva introduit le terme d’intertextualité, terme qui prend chez elle un sens très large – surtout par rapport aux restrictions narratologiques proposées ultérieurement par Gérard Genette et par le système de Michael Riffaterre. Alors que l’« analyse transformationnelle » reste encore tributaire de la pensée dichotomique du signe, l’intertextualité saisit « l’imbrication » des textes, suceptible d’ouvrir la structure close. Cette conception insiste sur la productivité permutable du texte : « dans l’espace d’un texte plusieurs énoncés pris à d’autres textes, se croisent et se neutralisent » (1969, 113). Ainsi , le texte littéraire fait partie intégrante de « l’ensemble social considéré comme un ensemble textuel ». L’intertextualité est « l’interaction qui se produit à l’intérieur d’un seul texte ».

Pour Barthes, le concept d’intertexte constitue « le volume de la socialité » non selon une « filiation repérable », mais selon la voie d’«une dissémination ». Avec cette « subversion », qui prendra sa forme définitive dans « la théorie du texte comme « hyphologie » (hyphos, c’est le tissu et la toile d’araignée) » (Barthes, 1973, 101), il fait un passage vers une acception postmoderne de l’intertexte comme « hétérogène », « polymorphe », « hybride » ou « mixte ».

La liquidation des frontières du texte en vient à défaire le sujet qui devient « telle une araignée qui se dissoudrait elle-même dans les sécrétions constructives de sa toile ». Dans l’analyse de la nouvelle de Balzac, Sarrasine, Barthes donne une lecture « disséminative » suivant cinq codes repérés (herméneutique, sémantique, symbolique, proaïrétique, culturel) tout en ajoutant que le code s’ouvre sur « une perspective de citations, un mirage de structures » favorisant « des sorties du texte » pour autant que le texte devient « étoilé » et « brisé ».

Exercice

Repérez dans cet extrait ce qui montre l’affinité de Barthes avec le rhizome de Deleuze-Guattari !

« Le texte, dans sa masse, est comparable à un ciel, plat et profond à la fois, lisse, sans bords et sans repères ; [...] le commentateur trace le long du texte des zones de lectures, afin d’y observer les migrations des sens, l’affleurement des codes, le passages des citations. [...] Ce qu’on cherche, c’est à esquisser l’espace stéréographique d’une écriture [...]. Le commentaire, fondé sur l’affirmation du pluriel, ne peut donc travailler dans le « respect » du texte : le texte tuteur sera sans cesse brisé, interrompu sans aucun égard pour ses divisions naturelles ; [...] le travail du commentaire, dès lors qu’il se soustrait à toute idéologie de la totalité, consiste précisément à malmener le texte, à lui couper la parole. Cependant, ce qui est nié, ce n’est pas la qualité du texte (ici incomparable), c’est son « naturel ».

Roland Barthes, S/Z, Gallimard, 1970, 21-22

La théorie du texte se définit mal par rapport aux sciences traditionnelles de l’œuvre et aux sciences formalistes. Barthes souligne que « la science critique postulée par cette théorie est paradoxale », car le texte – en tant qu’il n’est jamais « approprié » et se situe « dans l’intercourse infinie des codes et non au terme d’une activité « personnelle » [...] de l’auteur » – résiste au général : « il n’y a pas de « modèle » du texte ». La science qui peut tenir compte de la textualité du « texte » barthésien serait « une science du devenir », « une science de la jouissance » : « car tout texte [...] tend à la limite à provoquer ou à vivre la perte de conscience (l’annulation) que le sujet assume pleinement dans la jouissance érotique ». (« Texte », in Encyclopaedia Universalis, acessible en ligne sur http://asl.univ-montp3.fr/e41slym/Barthes_THEORIE_DU_TEXTE.pdf)

Rappelons les autres recherches dans le domaine de l’intertextualité plus « opératoires », plus « méthodiques », mais qui restent bien en deçà de l’emploi extensif de Roland Barthes. Puisque pour qui le hors-texte n’existe plus et le monde devient l’espace mouvant du « devenir constant du texte ».

Regardez la vidéo sur Le Plasir du texte avec Roland Barthes !