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NARRATOLOGIE COMPARÉE : LE CAS DE LA MÉTALEPSE

Un passage vers l’ouverture et la pluralité se met en place de Discours du récit qui affirme qu’un énoncé du type « Marcel devient écrivain » est un « récit minimal » à Métalepse. De la figure à la fiction (2004), où l’on trouve l’idée inverse qui dit que « la figure est l’embryon, ou si l’on préfère, une esquisse de fiction » (p. 17). Ce qui provoque le déplacement, c’est la figure de métalepse (« La métalepse [...] consiste à substituer l’expression indirecte à l’expression directe », Fontanier, p. 127). La définition formelle dans Figures III insiste sur les aspects fonctionnels par rapport à d’autres catégories du récit et reconnaît la part du fantastique et du merveilleux dans la constitution de la métalepse.

Pour comprendre l’enjeu du procédé métaleptique, il convient de rappeler l’acquis narratologique, selon lequel tout récit s’organise en deux niveaux séparés.

  • niveau de la narration
  • niveau des événements narrés.

 Ce partage est valable non seulement pour le récit factuel, mais aussi pour la fiction. Dès que ces niveaux ne sont plus distingués de façon étanche, on parle de «  contamination » (volontaire ou involontaire). Si contamination il y a, il y a aussi métalepse.

Dans un entretien en 2004, Genette souligne que la métalepse déstabilise « la suspension volontaire d’incrédulité » pour produire « une simulation ludique de crédulité » (p. 25). Ceci pour faire remarquer qu’il ne s’agit plus de décrire les propriétés des figures et de les classer (comme c’était le cas dans Nouveau discours du récit), mais d’interroger les effets produits par le discours narratif. Aussi Genette souligne-t-il l’impact du récit sur l’imagination créatrice :

« le récit n’a ni pour enjeu ni pour fonction de nourrir les activités descriptives, analytiques et classificatoires, mais bien de mobiliser l’imagination de son récepteur, et les effets de métalepses mobilisent plus particulièrement des aspects ludiques et/ou fantastiques de cet imaginaire »

Entretien avec John Pier http://www.vox-poetica.org/entretiens/intGenette.html

Au fil de la métalepse Genette quitte le champ proprement dit de la narratologie « classique », « restreinte » en faveur d’expérimentation de domaines culturels avoisinants – le cinéma et le théâtre – où les procédés métaleptiques ont également cours. Même s’il se méfie de « l’impérialisme » ou du « militantisme disciplinaire » tout comme de la tendance à ériger de « nouveaux paradigmes », il paraît que les recherches sur la métalepse montrent vers l’ouverture sur une nouvelle narratologie qu’il appelle « comparée ».

Les recherches sur la métalepse s’inscivent donc dans les perspectives transdisciplinaire et constituent un « point de croisement de tout un ensemble d’interrogations fondamentales concernant le récit de fiction, voire plus généralement, certaines modalités du fonctionnement de la représentation mentale comme telle » (John Pier, Jean-Marie Schaeffer (dir.), Métalepses. Entorses au pacte de la représentation, 2005). Il existe des périodes et des genres (le baroque, le romantisme et le modernisme ; pratiques comiques et ironiques) qui favorisent le processus métaleptique, alors que d’autres (le classicisme, le réalisme ; pratiques tragiques et lyriques) « s’en détournent ». Selon Jean-Marie Schaeffer et John Pier la métalepse opère le dépassement de la narratologie structuraliste traditionnellement basée sur l’opposition jakobsonienne entre métaphore et métonymie.

« Il apparaît que la métalepse est aussi fondamentale pour l’analyse littéraire que la métaphore et la métonymie. [...] La métalepse – sorte de « court circuit » dans l’organisation du discours – rompt avec cet ordonnancement, que ce soit parce que, comme le disait Fontanier, elle consiste à « susbstituer l’expression indirecte à l’expression directe » ou que, dans l’esprit de Quintilien, elle importe un synonyme impropre dans un contexte donné, soit enfin que, selon la tropologie freudienne, elle représente une « déformation » (Entstellung) par rapport à la « condensation » (Verdichtung) métaphorique et au « déplacement » (Verschiebung) métonymique. »

Jean-Marie Schaeffer - John Pier (dir.), Métalepses. Entorses au pacte de la représentation, 2005

Aussi la métalepse joue-t-elle un rôle fondamental dans le « récit de fiction » par opposition au « récit factuel » lorqu’elle y instaure « un contrat de lecture particulier » qui ne sera plus fondé sur la vraisemblance, mais sur « un savoir partagé de l’illusion ». C’est cette fonction qui rend la métalepse propice à l’approche des autofictions contemporaines, alors que ce « genre pas sérieux » relevait de la « contradiction logique » que Genette répudie encore, car basé sur un pacte « délibérément contradictoire ». Nonobstant, Fiction et diction (1991) amorce déjà le passage vers une poétique « élargie » favorisant le passsage de la « narratologie classique » à la « narratologie postclassique », « pragmatiste ».