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NOUVELLE CRITIQUE

A partir des années 60, ce texte de Proust, alors récemment publié à partir des manuscrits contemporains des travaux des Formalistes russes, fait l’unanimité chez les tenants des approches « textualistes » grâce à sa thèse fondée sur l’opposition fondamentale entre texte et contexte. Curieusement, les mêmes théoriciens voulaient récuser la centralité de la conscience créatrice. Dans Contre Saint Proust (2006), Dominique Maingueneau appréhende le texte de Proust comme un « symptôme » en ce qu’il incarne l’idéologie spontanée des littéraires. Aussi l’opposition entre l’étude du texte et l’histoire littéraire se répercute-t-elle au partage intitutionnel des établissements entre les facultés de lettres et les facultés des sciences humaines et sociales.

Si la Nouvelle Critique « textualiste » – Georges Poulet, Roland Barthes, Jean-Pierre Richard – épouse, voire renouvelle cette préoccupation proustienne de Contre Sainte-Beuve, c’est pour remettre en cause la tradition critique héritée du positivisme scientiste du 19e siècle (Sainte-Beuve, Taine, Gustave Lanson). Celle-ci en s’opposant, elle aussi, à l’interprétation subjective, vulnérable, et, à la limite, arbitraire d’une œuvre, croit en une critique « scientifique » et se réclame d’une méthode basée sur la description ou l’explication des œuvres. Ce qui rend cependant surannée cette critique aux yeux de la nouvelle génération est leur appareil « transcendant » prêt à porter un jugement historique sur les œuvres, ainsi qu’à établir des causalités extérieures à l’œuvre.

Un grand débat, une nouvelle querelle des Anciens et des Modernes (polémique agitant le monde littéraire et artistique de la fin du xviie siècle) marque l’histoire de la critique littéraire des années 60 avec l’attaque menée par Barthes et la Nouvelle Critique contre la « critique universitaire ». Roland Barthes (1915-1980), figure emblématique du structuralisme et de la sémiologie des années 60-70, publie Sur Racine (1963), une analyse thématique s’inspirant de la méthode de Charles Mauron (1899-1966) (critique littéraire jetant la base de la psychocritique) en vue de dégager une structure profonde unifiante chez « L’Homme racinien ». Cette expression fera problème en ce qu’elle renvoie à la fois aux personnages de Racine et à Racine lui-même, n’est-ce pas l’auteur que la critique immanenete, textuelle désire mettre à l’écart. Le troisième chapitre – « Histoire ou Littérature ? » – vise ouvertement l’université et sa pratique critique, le lansonnisme (hérité de Gustave Lanson (1857-1934), historien de la littérature et critique littéraire français encourageant une approche objective et historique des œuvres) qui couvre « du drapé moral de la rigueur et de l’objectivité ses postulats et ses partis pris ».

Dans le pamphlet, Nouvelle Critique ou Nouvelle Imposture (1965) Raymond Picard reproche à l’imposteur Barthes l’absence de toute érudition en matière des connaissances biographiques et historiques sur Racine. Selon Picard Barthes préserve la figure de l’auteur quoi que sous une forme renouvelée : un inconscient de l’œuvre racinien opère chez lui comme une intention immanente.

A répondre à l’attaque universitaire dans Critique et vérité (1966), Barthes finit par dénoncer l’intention de l’auteur (catégorie herméneutique, instance normative, critère de validité du sens littéraire) en substituant à l’homme le langage. Faisant appel à Le Clézio il dit : « il n’y a plus ni poètes ni romanciers : il n’y a plus qu’une écriture. [...] L’écrivain ne peut se définir en termes de rôle et de valeur [...] Est écrivain celui pour qui le langage fait problème, qui en éprouve la profondeur, non l’instrumentalité ou la beauté » (OC, II, 781-782). Aussi formule-t-il sa critique contre l’herméneutique qui s’acharne à reconstituer l’intention de l’auteur et pour « faire parler le mort », elle ne cesse de lui trouver de substituts : « son temps, le genre, le lexique, bref tout le contemporain de l’auteur, propriétaire par métonymie du droit de l’écrivain mort sur sa création » (p. 789). Alors que la mort « fait de l’œuvre un mythe » et au lieu de la sacraliser prive de la signature de l’auteur : « l’auteur, l’œuvre, ne sont que le départ d’une analyse dont l’horizon est un langage » (p. 790).

Barthes anticipe sur « La mort de l’auteur » (1968) (l’auteur considéré comme principe producteur et explicateur de la littérature), tout en reconnaissant entre parenthèses la part de vérité de la critique de Picard : « l’empire de l’Auteur [est] encore très puissant (la nouvelle critique n’a fait bien souvent que le consolider) » (OC, III, 41). La fameuse conférence de Michel Foucault, Qu’est-ce qu’un auteur ? donnée en 1969 à la Société Françaises de Philosophie ne vient que mettre à l’avant le mouvement d’hostilité du programme bathésien à l’égard de la critique universitaire qui ignore que « le lansonnisme est lui-même une idéologie » (Qu’est-ce que la critique, 1963). A la question de savoir « Qu’est-ce qu’un auteur ? » Foucault donne une réponse avec Beckett : « Qu'importe qui parle !» et s’inscrit avec Barthes dans la tradition avant-garde de Mallarmé à Blanchot qui décrète la disparition de l'auteur et définit l'écriture par l'absence de l'auteur, par le neutre, par le désœuvrement.

La mort de l'auteur, malgré sa violence, institut une ligne de recherche productive, quoique, plus tard, dès Le Plaisir du texte, en 1973, Barthes en prenne ses distances.

« Comme institution, l'auteur est mort : sa personne civile, passionnelle, biographique, a disparu ; dépossédée, elle n'exerce plus sur son œuvre la formidable paternité dont l'histoire littéraire, l'enseignement, l'opinion avaient à charge d'établir et de renouveler le récit : mais dans le texte, d'une certaine façon, je désire l'auteur : j'ai besoin de sa figure (qui n'est ni sa représentation, ni sa projection), comme il a besoin de la mienne (sauf à « babiller »).»

Roland Barthes, Le Plaisir du texte, Seuil, 1973, 45-46

Pour ce qui est du destin de l’auteur et son intention – après cette exécution qui devait forcément beaucoup à l’identification de l’auteur avec l'individu bourgeois et la personne psychologique, ainsi qu’à la réduction de l’histoire littéraire de l'auteur à l'explication de texte par la vie et la biographie – la postérité critique (avec Gérard Genette, Käte Hamburger, Umberto Eco, Wolfgang Iser) met en place des nuances avec la définition d’instances subtiles, telles que l’auteur empirique, l'auteur impliqué, le narrateur homo- ou hétéro-diégétique, le protagoniste, le narrataire, le lecteur idéal, le lecteur empirique, etc. Si la question d’auteur reste encore à l’ordre du jour aujourd’hui, c’est qu’avec les nouveaux médias électroniques la question s’impose de savoir : quelle acception on peut encore donner à une notion critique comme celle d'auteur à l’ère numérique.

Pour reprendre les termes du grand débat sur lequel s’ouvre notre modernité avant-garde, voici modélisés en diagramme les deux traditions à l’œuvre dans les études littéraires.

Texte
1. Approche intrinsèque du fait littéraire
Histoire litteraire
2. Approche extrinsèque du fait littéraire