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LA SEMIOTIQUE PRAGMATISTE

Contemporain de Saussure, et tout aussi incompris de son vivant, Charles Sanders Peirce (1839-1914) philosophe et logicien américain élabore sa propre théorie des signes qu’il définit non plus en fonction de la linguistique et de la psychologie, mais comme une logique : « La logique, dans son sens général, [...] n’est qu’un autre nom de la sémiotique (σήμειωτική) ; la doctrine « quasi nécessaire » ou formelle des signes » (2.227).

Dans sa « théorie des catégories » qu’il appelle « phanéroscopie », Peirce distingue trois modes d’être relevant respectivement de l’ontologie, de l’épistémologie et de la sémiotique
(1)   « l’être de la possibilité qualitative positive »
(2)   « l’être du fait actuel » dans un espace-temps déterminé
(3)   « l’être de la loi qui gouvernera les faits dans le futur » (1.23)

Ce sont ce qu’il appelle
(1)   la Priméité
(2)   la Secondéité
(3)   la Tiercéité

« Premier, est la conception de l’être ou de l’exister indépendamment de toute autre chose. Seconde, est la conception de l’être relatif à quelque chose d’autre. Troisième, est la conception de la médiation par quoi un premier et un second sont mis en relation. » (6. 32)     

Ch. S. Peirce., Ecrits sur le signe.
Rassemblés, traduits et commentés par Gérard Deledalle, Paris, Seuil, 1978

UN: En tant que « qualité du sentiment » et comme telle « possible » ou « potentiel », à attribuer à un sujet (« le fait qu’un sujet est tel qu’il est » (1.25)) ou à un état, le premier est toujours « présent et immédiat », « frais et nouveau », « initial, original, spontané et libre », sinon il se noue dans un rapport d’actualisation (perception) et de représentation, ce qui implique déjà un second et un troisième. De l’ordre de l’affect, la priméité est le mode d’être le plus vulnérable et propice à devenir secondéité.

DEUX : De l’ordre de l’action, la secondéité « actualise » ce qui n’est que possible dans la priméité. Etant notre « expérience de la vie », pleine de « restriction » ou « conflit » (1.358), la secondéité est la catégorie la plus « facile à comprendre », la plus « familière » ne permettant que « des distinctions grossières » telles « les distinctions dichotomiques » (1.359).

 trois : Pour ce qui est de la tiercéité, cette « position intermédiaire » entre le premier et le second, Peirce la définit en terme de « loi » ou d’« habitude » à même de décider comment le futur « doit continuer à être » (1.536). Cette « virtualité » est un dynamisme à la fois de l’ordre du temps et du sens, et comme tel susceptible de déterminer « le contenu de nos pensées » (1.343), la signification étant « irréductible » tant à l’idée « de qualité » qu’à celle « de réaction » (1.345).

Le signe (le reprsentament) se lie à trois choses, chacune relevant respectivement de la priméité, de la secondéité et de la tiercéité :

(1)   au « fondement » : l’idée qui vérifie le rapport entre le signe et son objet ;
(2)   à l’objet : ce dont le signe tient lieu ;
(3)   à « l’interprétant » : le signe créé.

La particularité de la sémiotique peircienne, par opposition à la conception dichotomique de la sémiologie de F. de Saussure, réside justement dans cette triple détermination, laquelle mettra fin à l’idée de la clôture du signe lingusitique, ainsi qu’au fait que le signe s’y comprend comme un terme de relation. « Le signe est ce qu’il fait ». L’opération – d’où son caractère pragmatique – dont le signe participe : tenant lieu d’« un objet » « par référence à une sorte d’idée », le signe, en s’adressant à quelqu’un, crée un nouveau signe « équivalent » ou peut-être plus « développé » que Peirce appelle « l’interprétant du premier signe » (2.228).

Par conséquent, le processus de la semiosis consiste à produire du « signe interprétant » qui renvoie à un autre « signe interprétant » en une série infinie. Il ne s’agit plus de déterminer seulement le signe linguistique en reliant de façon « arbitraire » les deux composants du signe, à savoir « l’image acoustique » et « l’image mentale », mais de saisir le signe (tous les signes) dans sa dynamique comme une « action », puisque c’est justement à l’action, à ce que le signe fait que la signification est liée, et non au signe en tant que tel. Aussi ce dynamisme sous-jacent affecte-t-il la typologie des signes.

Peirce distingue trois trichotomies du signe dont celle liée à l’objet qui a la plus de notoriété : il s’agit de la trichotomie rendant compte de la relation qui lie le signe à son objet dont il tient lieu :

(1)   icône : rapport de similarité (UN) : une photographie, une image
(2)   indice : rapport de causalité (DEUX) : fumée – incendie
(3)   symbole : rapport de convention (TROIS) : la langue

Le troisième du système peircien (l’interprétant) dynamise le signe et permet de prendre le même phénomène soit pour une icône, soit pour un indice ou pour un symbole. Par conséquent la sémiotique de Peirce est en mesure de fournir au dépassement du modèle dichotomique de Saussure, perspective dans laquelle se reconnaissent les préoccupations post-structuralistes mettant sous rature la métaphysique occidentale, elle aussi dépositaire d’oppositions binaires millénaires.

Tableau