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NARRATOLOGIE RESTREINTE

En 1972 dans Figures III (en particulier « Discours du récit ») Gérard Genette (1930) distingue « histoire » (le contenu narratif), « récit » (le signifiant ou le texte narratif) et « narration » (l’acte narratif producteur). Adoptant le vocabulaire de Todorov, il recense les catégories du récit suivant la grammaire du verbe (temps, mode, voix. En 1983, dans une relecture critique (Nouveau discours du récit), il reprend les résultats de son premier discours en vue de synthétiser et de mettre au point les recherches narratologiques antérieures.

Sous la catégorie du « temps », il étudie trois types de rapports :

1)     l’ordre narratif (le rapport entre succession chronologique des événements de l’histoire et leur disposition dans le récit) : il existe deux types d’anachronies narratives (à savoir modification de la coïncidence temporelle entre l’histoire et le récit)

  • l’anticipation : prolepse
  • le retour en arrière : analepse ;

2)     la durée narrative concernant les rapports de la durée des événements de la diégèse (l’univers de l’histoire racontée ; la diégésis est le récit pur, sans dialogue par opposition à la mimèsis) et la longueur des segments narratifs qui les racontent ;

3)     la fréquence narrative qui recouvre les rapports entre les événements de l’histoire et la capacité du récit de les répéter ou de les styliser (récit singulatif, récit répétitif, récit itératif, récit fréquentatif).

Sous la catégorie du « mode », il étudie la régulation de l’histoire par le récit qui la raconte plus ou moins complètement (distance narrative) et selon tel ou tel point de vue. Pour ce qui est de la perspective narrative, il recèle trois types de focalisation (qui voit ?)

  • focalisation zéro : vision omnisciente, le regard du narrateur est tout-puissant ;
  • focalisation externe : équivaut au regard d’une caméra enregistreuse, neutre, impersonnelle et objective ;
  • focalisation interne : le regard est celui d’une conscience limitée de ce qu’il voit, sent ; procédé privilégié par le réalisme subjectif.

Sous la catégorie de la « voix », il étudie la narration dans le récit (qui parle ?) sous les espèces

  • de l’instance narrative déterminée par  
    • le narrateur absent de l’histoire : hétérodiégétique
    • le narrateur présent dans l’histoire : homodiégétique                        
    • le niveau narratif ;
    • de la situation d’énonciation 
      • l’énonciation ultérieure,
      • l’énonciation antérieure,
      • l’énonciation simultanée,
      • l’énonciation intercalée.

C’est dans Palimpsestes (1982) que Genette reprend l’interrogation sur ce qu’il a appelé « paratextualité » dans Introduction à l’architexte (1979). Pour lui l’intertextualité n’est pas une notion extensive, mais un type de « transtextualité ». On reconnaît, outre la volonté de rendre ce concept plus méthodique et opératoire, un autre déplacement par rapport à la position du groupe Tel Quel : Genette n’hésite pas à réintroduire la transcendance (par opposition à la préoccupation numéro un de la nouvelle critique concernant l’immanence) en soutenant qu’au-delà du texte, il n’y a que du texte. Aussi cette conception lui permet-elle de redéfinir l’objet de la poétique, qui n’est plus le texte considéré dans sa singularité (ceci est plutôt l’affaire de la critique), mais l’architexte, ou si l’on préfère l’architextualité du texte. Celle-ci recouvre « l’ensemble des catégories générales, ou transcendantes [...] dont relève chaque texte singulier ». Dans son ouvrage de 1982, il préfère le mot « transtextualité » qui dépasse et inclut à la fois l’architextualité (1979). Cette « transcendance textuelle du texte » désigne « tout ce qui [...] met [le texte] en relation, manifeste ou secrète, avec d’autres textes » (1982, 7-17)

Genette distingue « cinq types de relations transtextuelles » :

1)     l’intertextualité
« présence effective d’un texte dans un autre » ;
« citations », « plagiats », « allusions » ;

2)     la paratextualité
la relation du texte avec ce qui l’accompagne : titres, notes, épigraphes, illustrations, prières d’insérer ;

3)     la métatextualité
la relation du texte avec son commentaire
→ la « relation critique » Jean Starobinski

4)     l’hypertextualité
la relation d’un texte B (hypertexte) avec un texte antérieur A (hypotexte) ;

5)     l’architextualité
la fonction de la « perception générique » qu’a le lecteur d’une œuvre donnée
→ le processus de la réception, H. R. Jauss

Définie « d’une manière sans doute restrictive » (1982, 8), la notion d’intertexte permet à Genette de se démarquer de la conception de Michael Riffaterre – qui parle d’une « sémiosis intertextuelle » faisant appel à Ch. S. Peirce, et définit l’intertexte comme « l’ensemble des textes que l’on trouve dans sa mémoire à la lecture d’un passage donné. L’intertexte est donc un corpus indéfini » (1981, 4) – et de s’inscrire dans la continuité critique de la Poétique aristotélicienne.

Dans le même esprit et pourtant signalant déjà une transition vers une narratologie ouverte, Seuils (1987) s’interroge sur ce qui accompage l’œuvre littéraire pour définir ce qui se passe dans la zone « indécise » – frange, lisière entre le hors et le dedans – où toute une stratégie pragmatique liée au texte et à sonc contexte se joue. Loin de l’idée d’une frontière étanche, aux seuils de l’œuvre l’on entre dans une zone de transaction entre l’auteur et ses alliés.

Exercice

Relevez dans le passage de J. Hillis Miller cité en note bas de page par Genette, l’ambiguïté « déconstructrice » rencontrée à l’endroit même du préfixe « para », remarque permettant à l’auteur de Seuils de redéfinir la relation paratextuelle !

« Para est un préfixe antithétique qui désigne à la fois la proximité et la distance, le similarité et la différence, l’intériorité et l’extériorité [...], une chose qui se situe à la fois en deçà et au-delà d’une frontière, d’un seuil ou d’une marge, de statut égal et pourtant secondaire, subsidiaire, subordonné, comme un invité à son hôte, un esclave à son maître. Une chose para n’est pas seulement à la fois des deux côtés de la frontière qui sépare l’intérieur et l’extérieur : elle est aussi la frontière elle-même, l’écran qui fait membrane perméable entre le dedans et le dehors. Elle opère leur confusion, laissant entrer l’extérieur et sortir l’intérieur, elle les divise et les unit ».

Gérard Genette, Seuils, Ed . du Seuil, 1987, 7